Trop souvent ignorées

Bien qu’elles soient à l’origine de détresse chez la femme, de frustrations et de ruptures dans le couple, les dysfonctions sexuelles féminines sont encore trop souvent objet de tabou. Elles sont pourtant bien réelles, ici comme ailleurs, et des solutions, parfois simples, existent. D’où l’importance d’encourager les femmes à en parler.

La prévalence des dysfonctions sexuelles féminines est difficile à estimer. De nombreuses études se sont penchées sur le sujet mais les résultats suggèrent des écarts allant bien souvent du simple au double. Ainsi, dans un article intitulé « Ménopause et sexualité », le Dr Brigitte Letombe, praticienne au CHU de Lille, cite plusieurs études qui évaluent la dysfonction sexuelle féminine. Elle varie de 20 à 50 % chez les femmes tous âges confondus et entre 33 à 51 % chez les femmes de 40 ans et plus. Mais qu’ils soient pris dans leurs extrêmes (basse ou haute), ces chiffres montrent que les troubles liés à la sexualité chez les femmes sont bien présents, même si ces dernières sont encore peu nombreuses à consulter pour y remédier.

Etudes au Maroc

Au Maroc, les études sur le sujet sont assez rares et portent sur de petits échantillons. Quelques-unes d’entre elles ont été menées par l’équipe du centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd qui a publié un article reprenant leurs résultats. Selon les auteurs, la prévalence des dysfonctions sexuelles est aussi élevée que dans les pays occidentaux avec un impact négatif sur le fonctionnement social, la relation conjugale et la qualité de vie(1). Elles peuvent d’ailleurs être à l’origine d’une profonde détresse pour certaines femmes, surtout lorsqu’elles menacent la viabilité du couple.
Le Dr Abderrazak Moussaïd, médecin sexologue psychosomaticien et président fondateur de l’Association marocaine de sexologie a mené une étude rétrospective, effectuée sur un échantillonnage non aléatoire, extrait des dossiers de patientes qui ont consulté sur une période de deux ans et demi, soit 812 jours. 182 dossiers ont été analysés. Les résultats, présentés lors du 15e congrès marocain de sexologie en octobre 2011, ont montré que le vaginisme est le premier motif de consultation (38 %), suivi par les anorgasmies (23 %). Viennent ensuite les interrogations concernant l’état de santé du mari (9 %) et la déficience ou absence de désir appelée « désir sexuel hypoactif » (DSH) qui concerne 8 % des motifs de consultation.

Définition

Le manuel diagnostique des troubles mentaux (DSM) définit la dysfonction sexuelle par une perturbation des processus qui caractérisent le déroulement de la réponse sexuelle ou par une douleur associée aux rapports sexuels. Elle peut s’exprimer par un trouble du désir sexuel, une aversion sexuelle, un trouble de l’excitation sexuelle, un trouble de l’orgasme, des troubles sexuels avec douleur (dyspareunie ou vaginisme non dus à une affection médicale générale). Dans certains cas, la dysfonction sexuelle est due à une affection médicale générale.

Le vaginisme

Le vaginisme se manifeste par une contraction des muscles du plancher pelvien qui empêche toute pénétration. La consommation du mariage est alors impossible et les femmes sont poussées à consulter pour ne pas mettre leur couple en péril, ce qui explique que ce motif de consultation soit le plus fréquent. Il est essentiellement primaire, c’est-à-dire présent dès la première tentative de relation sexuelle -le vaginisme secondaire, qui survient après une période de vie sexuelle sans problème de pénétration, concerne environ 20 % des cas- et majoritairement lié à une profonde angoisse. « Des cognitions négatives et des croyances irrationnelles relatives à la sexualité et à la pénétration sont à l’origine du vaginisme, véhiculées par la famille et l’entourage », précise le Dr Moussaïd dans son étude (2). « Ces femmes connaissent mal leur corps, elles se représentent un vagin étroit, une verge trop grosse, un hymen scléreux obstruant le vagin… Certains cas de vaginisme sont liés à des antécédents d’attouchements ou de viol ou tentatives de viol et d’autres à une éducation restrictive et/ou religieuse ». Cependant, le vaginisme n’est pas propre à la culture locale car il est largement décrit dans les pays occidentaux. Le traitement de ce trouble passe par une information sexuelle et une sexothérapie lorsqu’il est superficiel ou par une psychothérapie analytique ou une psychanalyse. Le taux de guérison est de l’ordre de 80 %, bien souvent à l’issue de trois ou quatre séances. Il est donc important d’encourager les patientes à s’exprimer sur le sujet et à consulter un spécialiste.

La dyspareunie

Contrairement au vaginisme, la dyspareunie n’empêche pas la pénétration, mais elle rend les rapports sexuels douloureux ou difficiles. Elle est caractérisée par une douleur soit à l’entrée, soit au fond du vagin et est considérée comme le trouble sexuel qui a le plus de causes organiques même si elle peut être d’ordre psychogène, au même titre que le vaginisme. Les douleurs à l’entrée du vagin peuvent suggérer une origine infectieuse, allergique, dermatologique, cicatricielle (suite d’un accouchement ou d’une intervention chirurgicale) ou hormonale (ménopause notamment). Celles situées au fond du vagin peuvent avoir pour origine une endométriose, des infections, des kystes ou des complications de fibrome. Les dyspareunies sont rarement provoquées par une malformation, mais il importe de les rechercher surtout lorsqu’il s’agit d’une dyspareunie primaire (3). La prise en charge de la dyspareunie sera bien sûr à adapter en fonction de l’origine du trouble (infection, kyste, mycose…) à laquelle il faudra bien souvent associer des séances de désensibilisation à la douleur. En effet, il arrive souvent que la douleur persiste après le traitement médical car, par peur de la douleur, la femme réagit en contractant ses muscles vaginaux. La pénétration est alors à nouveau douloureuse et un cercle vicieux se met en place qui peut conduire jusqu’au désintérêt sexuel ou à l’absence de désir et d’excitation. De plus, l’insuffisance d’excitation entraîne à son tour une absence ou un manque de lubrification (la lubrification est une réaction à l’excitation) responsable de douleurs. Lorsque la dyspareunie est d’origine psychogène, une sexothérapie sera recommandée.

Autres troubles

Les troubles de l’excitation sexuelle, caractérisés par une diminution ou une absence du gonflement vulvaire et de lubrification vaginale ont également diverses origines. Les causes peuvent être d’origine vasculaires, neurologiques, endocriniennes, musculo-ligamentaires, infectieuses, en lien avec des pathologies chroniques tels que le cancer, le diabète, un rhumatisme inflammatoire… ou encore iatrogènes ou psychologiques (4). Là encore, plusieurs types de traitements peuvent être proposés en tenant compte de la spécificité de chaque patiente et de son histoire. Il en est de même pour les troubles du désir sexuel dont les causes peuvent être physiologiques (hormonales, dépression, iatrogénie médicamenteuse), circonstancielles ou psychogènes (choc émotionnel, absence de préliminaires, conjugopathie, conditions de vie…). Enfin, l’anorgasmie, 2e motif de consultation cité dans l’étude du Dr Abderrazak Moussaïd, est très rarement liée à des causes organiques. Certaines pathologies telles le diabète peuvent émousser l’orgasme, mais de nombreuses dysorgasmies sont liées à des conditions émotionnelles et relationnelles insatisfaisantes ou à une méconnaissance du fonctionnement de la sexualité féminine. Publié pour la première fois en 1975, le rapport Hite sur la sexualité féminine, actualisé en 2002 (Nouveau rapport Hite), recense les résultats d’une très vaste enquête sur la sexualité féminine. « Notre définition de l’amour physique appartient à un monde passé. Le scénario sexuel présenté aux hommes comme aux femmes (ce que nous devons ressentir, ce que nous sommes censés désirer) est trop normatif », affirme Shere Hite, auteur du rapport (5). Il est donc important que la femme comprenne le fonctionnement de sa sexualité et qu’elle puisse en discuter avec son partenaire pour un meilleur épanouissement du couple.

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