Introduction
Le but de cet exposé c’est de montrer la place de l’éjaculation prématurée dans la consultation de sexologie au Maroc. Comment la plainte est exprimée par le patient, parfois par l’épouse, devant le refus de l’intéressé ou le couple. Quelles sont les motivations qui poussent les patients à consulter. Qui est derrière la consultation (le patient lui- même, l’épouse, l’entourage, les médias…)
Patients et méthode :
Il s’agit d’une étude observationnelle, rétrospective réalisée sur 371 dossiers de patients masculins soufrant de troubles sexuels et qui se sont présentés dans mon cabinet de sexologie. Ces dossiers ont été choisis au hasard, sur des dossiers non classées durant une période d’environ 3 mois, comprenant des anciens et nouveaux patients.
Les dossiers = un questionnaire détaillé, comportant les données socioprofessionnelles, médicales et psychologiques relatives à la sexualité des patients.
Critères d’inclusion :
Tous patients masculins présentant un trouble sexuel effectif et ayant reçu un traitement psychothérapique et/ou médicamenteux.
Critères d’exclusion :
Patients présentant un trouble psychosomatique sous forme de : douleurs, picotements des organes génitaux, sans preuve biologique, radiologique et/ou échographique…
Patients présentant des troubles sexuels dans les rapports consécutifs, sans respects des délais préconisés « normaux » (cognitions négatives) et relevant d’une psychothérapie cognitive et comportementale.
Résultats :
Population étudiée : l’âge moyen est de 50 ans (entre 25 ans et 76 ans). Les plus jeunes consultent surtout pour EP (l’âge moyen est de : 18 – 34 ans).
Le niveau socioculturel : n’a pas été étudié.
Le statut matrimonial : n’a pas été étudié.
Le trouble sexuel : EP, DE+EP, EP (1er rapport) + DE (2ème rapport consécutif) et DE.
La plainte : Sour3at Al Qadf, problème d’érection, de taille de la verge pour la plupart, éjaculation précoce pour les intellectuels.
Les motivations : longtemps considérée comme normale, l’EP devient subitement un problème crucial (qui met la vie de couple en jeu), depuis l’avènement d’internet, facebook et surtout les chaines satellitaires (en Arabe…).
Derrière la consultation : le patient, mais aussi l’épouse après un période plus ou moins longue de cohabitation et surtout après avoir eu des enfants.
371 patients : EP seule : 19.61% = 73 personnes, DE seule : 41.18% = 153 personnes, DE + EP : 29.41% = 109 personnes, EP + DE : 09.80% = 36 personnes. Total : 100.00%
• Dysfonction érectile : 41,18%,
• Éjaculation précoce : 19.61%,
• DE + EP : 29.41%,
• EP + DE : 09.80%, dont 05% fait de EP (1er rapport) + DE (2ème rapport consécutif) :
Totale de DE : 70,59%,
Totale de EP : 58,82%.
DEFINITION DE L’ÉJACULATION PRÉMATURÉE
L’éjaculation précoce, éjaculation prématurée ou éjaculation rapide est une dysfonction sexuelle durant lequel un homme éjacule trop tôt sans le vouloir.
–> En Arabe classique : « Al Imnae Al Moubakkir ».
–> En Arabe dialectal : « Sour3at Al Qadf ».
Il est question d’éjaculation précoce primaire lorsque l’homme a toujours éjaculé depuis ses premiers rapports sexuels, malgré une longue expérience et des rapports sexuels répétés, avec des partenaires stables et d’éjaculation précoce secondaire quand la dysfonction s’installe après une période de normalité.
Þ CIM 10 définit l’E.P. comme un délai éjaculatoire ≤ 15 sec.
classification internationale des maladies
Þ Le DSM IV n’a pas fixé un temps frontière compte tenu de la grande variété des données publiées = Délai éjaculatoire subjectif après pénétration : IELT
7 minutes (Schover L. 1982)
5 minutes (Kilmann P.R. 1979 ; Zeiss R.A. 1978)
4 minutes (Lopiccolo J. 1978)
3 minutes (Strassberg D.S. 1987)
2 minutes (Spiess W.F. 1984 ; Strassberg D.S. 1990)
Moins de 1 minute (Cooper A.J. 1984)
Autres mesures pour l’étude de la performance éjaculatoire (Waldinger M. 2007)
Þ MELT = délai éjaculatoire par masturbation
Þ OELT = délai éjaculatoire par fellation
Þ AELT = délais éjaculatoire par sodomie
DÉLAI EJACULATOIRE INTRAVAGINAL = IELT
Waldinger 1998, 110 sujets EP primaire (IELT chronométré par la femme) 40% < 15 sec ; 30% entre 15 et 30 sec.
Donc Þ 70% < 30 sec ; 20% entre 30 et 60 sec.
Donc Þ 90% < 1 min . Restent 10% entre 1 et 2 minutes
Mac Mahon (2002), 1346 sujets = IELT moyenne 43,3 sec.
Waldinger (2007) :
88 sujets (délai éjaculatoire subjectif).
30% < 15 sec.
67% < 30 sec.
92% < 1 min.
8% entre 1 et 2 min.
EN PRATIQUE
Etant donnée que dans notre contexte la notion de temps est très subjective, et qu’on a affaire à une population particulière (par sa culture et par son niveau intellectuel), qui n’a jamais fait l’objet d’études, je me réfère à la notion de poussées pelviennes (nombre de va et vient).
C’est le nombre des mouvements qui détermine le choix et la nature du traitement, la dose et la classe thérapeutique des ATD.
IELT < 5 poussées : EP grave,
IELT < 20 poussées : EP bénignes.
DEFINITION DE L’EJACULATION PREMATUREE
Le Comité Ad Hoc ISSM (International Society for Sexual Medicine) pour la définition de l’éjaculation prématurée.
L’éjaculation prématurée qui a toujours existé est une dysfonction sexuelle masculine caractérisée par :
L’éjaculation qui se produit toujours ou presque toujours avant ou à pendant 1 minute de pénétration vaginale,
L’incapacité de retarder l’éjaculation sur toute ou presque toute la pénétration vaginale,
Et des conséquences personnelles négatives telles que la détresse, la gêne, la frustration, et/ou l’évitement de l’intimité sexuelle.
L’éjaculation prématurée primaire :
Éjaculation survenant toujours ou presque toujours avant ou moins d’une minute après la pénétration vaginale, avec inaptitude à retarder ce réflexe lors de toutes ou presque toutes les pénétrations et comportant des conséquences personnelles négatives telles que détresse, mal être, frustration et/ou évitement de l’intimité sexuelle.
L’éjaculation prématurée acquise :
Dysfonction apparue brutalement ou progressivement après une période où le sujet a présenté un délai éjaculatoire normal.
L’éjaculation prématurée peut être primaire ou secondaire. Transitoire ou intermittente, constante dans le temps, concerner toutes les partenaires ou seulement quelques-unes. Elle peut survenir à différents moments au cours de l’activité sexuelle.
Selon les individus, elle peut se produire lorsque la partenaire se dévêt, durant les préliminaires, au moment de la pénétration vaginale, après quelques mouvement de va et vient ou peu de temps après le début de la pénétration. Dans ce dernier cas, cela peut varier entre quinze secondes à deux minutes.
L’éjaculation précoce peut être ou non associée à d’autres problèmes sexuels comme la dysfonction érectile ou le vaginisme.
Pour un animal mâle, il est naturel d’éjaculer le plus rapidement possible afin d’augmenter les chances de perpétuer ses gènes, car dans la nature rien ne garantit que le rapport sexuel ne sera pas interrompu.
Le principe de l’éjaculation contrôlée afin de satisfaire la partenaire est une préoccupation sociale et non un impératif biologique.
FORMES CLINIQUES :
1: Ejaculation précoce secondaire (EP «Symptôme») :
– L’éjaculation devient rapide à un moment de la vie du sujet, après une période de normalité.
– L’apparition peut être brutale ou progressive,
– La dysfonction peut être due à:
I. des facteurs psychologiques ou relationnels,
II. des problèmes urologiques inflammatoires (prostatite…),
III. une pathologie thyroïdienne.
NB : Le dosage systématique des hormones thyroïdiennes n’est pas justifié dans l’EP.
L’E.P. acquise peut être guérie par le traitement de ces causes sous jacentes.
2: Ejaculation précoce primaire (EP «Maladie») :
Ces sujets ont toujours été insatisfaits d’éjaculer rapidement (IELT < 1-1.5 minutes). Caracteristiques de l’EP primaire : l’éjaculation survient trop tôt à chaque rapport, avec toutes les femmes, depuis les premiers contacts sexuels, dans la majorité des cas (90%) en moins de 60 secondes, ou entre 1-2 minutes (10%).
L’E.P. se maintient durant toute la vie (70%) ou peut même s’aggraver avec l’âge (30%).
Certains hommes éjaculent durant les préliminaires ou dès le contact avec la vulve (éjaculation ante portas).
Le traitement de l’EP primaire n’est que palliatif.
3: Ejaculation précoce subjective (EP-LD) :
Cette forme est considérée comme une dysfonction sexuelle.
Ici le sujet considère qu’il souffre d’EP mais en réalité, il met un temps approprié, ou même plus longtemps que la moyenne pour éjaculer : (48% > 2 minutes, 35% entre 2-5 minutes, 13% entre 5-25 minutes !).
L’EP subjective résulterait de problèmes cognitifs avec influence psychoculturelle.
4 : Ejaculation précoce variable naturelle :
Cette forme non pathologique d’EP entre dans la catégorie de variabilité naturelle du délai éjaculatoire, suivant = l’intensité de stimulation, l’état de relaxation, le niveau de frustration et les circonstances.
Cette variabilité éjaculatoire résulte d’une faible tolérance pour les hauts niveaux d’excitation.
Ces sujets, peuvent être aidés à mieux gérer leur excitation sexuelle, par des méthodes psychologiques et/ou comportementales.
5 : Ejaculation précoce émotionnelle :
Ces sujets éjaculent dés que leur partenaire réagit et manifeste la moindre excitation, émotion ou exprime le moindre gémissement, mais se comportent normalement en l’absence de toute expression de plaisir de leur partenaire.
Ces sujets entrent dans la catégorie de l’EP, car faire La relation intime n’interdit pas la réaction spontanée de la partenaire.
6 : Dysfonction érectile et éjaculation précoce :
Cette forme révélée par une plainte de D.E. apparait après une période plus ou moins longue d’EP et résulte d’un mécanisme qui inhibe les sensations pour éviter l’EP.
Ce processus peut-être efficace, mais bloque les pensées érotiques et les sensations génitales qui libèrent et maintiennent l’érection.
Cette pseudo dysfonction érectile peut être guérie en interdisant le coït ou lorsque nous traitons l’EP.
7 : Ejaculation précoce et dysfonction érectile :
Il s’agit de personnes atteintes de D.E. qui cherchent à éjaculer rapidement, par crainte de perdre l’érection. En réalité c’est une forme provoquée d’E.P., qui s’installe après une période plus ou moins longue de D.E.
L’E.P. peut s’arranger en traitant en premier la D.E., à l’origine du trouble.
8 : Ejaculation précoce des Abstinents : (Particularité culturelle ???)
Ce sont des personnes, qui pour des raisons de conformisme ou personnelles, n’ont pas de rapports sexuels jusqu’à un âge tardif (30 à 35 ans), peut être même jusqu’au mariage.
Parmi elles, des hommes qui éjaculent au simple contact avec une femme (dans un bus, taxi…sans frottement), en se masturbant ou en regardant un film pornographique.
C’est une raison du célibat. Faut-il traiter ou pas ???
Ce sont en général des personnes fragiles, repliées sur elles mêmes, avec un manque de confiance en soi…
EPIDEMIOLOGIE
Trouble sexuel masculin le plus fréquent, l’EP concerne environ 30% des hommes, selon (Laumann 1999, 2004).
Les patients craignent d’en parler (moins de 1/4 le font) mais la majorité souhaiterait que le médecin les questionne systématiquement sur ce point. (Laumann 2009).
Les médecins évitent d’aborder les problèmes sexuels par manque d’information et de formation. Seuls environ 10% le font. (Kirby 2009).
Tout cela explique la sous-médicalisation de l’EP malgré l’existence de molécules et de stratégies thérapeutiques capables d’aider ces patients. (Porto 2001; Assalian 2008).
Le silence sur cette dysfonction sexuelle ne reflète pas l’importance de son impact.
Ce problème est néfaste pour la qualité de vie de l’individu, dévastateur pour le couple, délétère dans les relations interpersonnelles.
Difficile de connaître les prévalences respectives de l’E.P., primaire et de l’E.P., acquise,
La connaissance des formes cliniques de l’E.P., est fondamentale pour ne pas commettre d’erreur de stratégie thérapeutique. (Porto R.2008)
Au Maroc, 55% à 65% des hommes qui consultent en sexologie se plaignent d’E.P.
CONCLUSION
L’analyse qui a été faite montre les controverses scientifiques et les questions médicales qui se posent concernant l’éjaculation prématurée.
Elle fait apparaître une absence de consensus sur cette dysfonction sexuelle et l’importance du retentissement sur la sexualité de la partenaire.
Devant cette dysfonction sexuelle et afin de prévenir la survenue d’un conflit conjugal = (troubles du désir, de plaisir, d’excitabilité…), Il faut pratiquer un diagnostic sexologique :
identifier les véritables causes, liées au patient,
préciser le rôle de la partenaire (facteur causal ou aggravant).
Il convient de traiter la dysfonction sexuelle à deux niveaux :
Indirectement : en aidant et en impliquant la partenaire. Il ne s’agit pas de responsabiliser l’épouse, mais de l’aider à modifier son comportement, puis de l’impliquer dans les consignes prescrites par le thérapeute.
Directement : par une approche globale et ciblé de la dysfonction sexuelle (Sexothérapique et pharmacologique).